Après avoir battu tous les records d’audience, la série-événement chroniquant la consolidation du secteur français du conseil en gestion de patrimoine a démarré sa saison 2024 de manière tonitruante. Mariages en grandes pompes, nouveaux personnages intrigants, constitution de nouveaux trésors de guerre… Quels nouveaux rebondissements attendent les CGP dans leurs campagnes ? Quels acteurs prendront le plus la lumière ? Comment évolueront leurs cachets ? La bataille pour la conquête du marché est loin d’être terminée.


Par Guillaume Clément

Dans les épisodes précédents…

   

Premières manœuvres stratégiques

Avant de commencer à binger la saison 2024 de la saga des CGP, un petit recap’ s’impose. Le temps des premiers épisodes à petit budget semble bien lointain. Souvenez-vous. Dans le courant des années 2000, les premières futures plateformes de conseil en gestion de patrimoine commençaient à rêver de ce qu’elles pourraient devenir avec plus de moyens. Et décidaient ainsi d’aller frapper à la porte des fonds de private equity.

En 2007, Astoria Finance ouvrait ainsi son capital à Naxicap Partners par exemple. Cyrus faisait pour sa part entrer UI Investissement au sien en 2008, alors que Primonial signait à son tour un contrat avec Naxicap en 2010. Ces précurseurs furent imités quelques saisons plus tard par des aspirants tels que Groupe Premium (avec Montefiore Investment en 2018), Valoria Capital (avec IK Partners fin 2020) ou encore Crystal (avec Apax Partners – devenu Seven2 – en 2021).

Explosion du nombre de campagnes

Enhardis par leurs sponsors aux poches profondes, l’ensemble de ces rising stars ont ainsi multiplié les opérations de croissance externe afin d’étendre leur territoire. Et leurs encours. Et leur temps d’antenne dans le feuilleton des CGP. « Avant le covid-19, nous observions moins d’une dizaine de transactions par an sur le segment du conseil en gestion de patrimoine, se remémore Christophe Muyard, associé co-fondateur de FIG Partners, cabinet de conseil en M&A spécialisé dans le secteur des services financiers. Ce nombre est passé à une vingtaine en 2021, puis à une trentaine en 2022, puis à une cinquantaine en 2023. »

De quoi permettre aux CGP de tenir les premiers rôles au sein de la catégorie « services financiers » du M&A-verse français l’an dernier. « Alors que les conseillers en gestion de patrimoine représentaient moins de 10% du volume de transactions de ce segment de marché il y a encore cinq ans, ce ratio a atteint près de 40% en 2023, poursuit Christophe Muyard. À titre de comparaison, environ 30% des opérations concernaient le courtage d’assurance et 20% l’asset management l’année dernière. »

En ajoutant aux fusions-acquisitions les opérations capitalistiques menées par les CGP, l’activité du secteur a également atteint un record d’activité. « Nous avons recensé 64 deals impliquant des cabinets conseillant plus de 20 millions d’euros d’encours en 2023, contre 41 en 2022 », souligne Sébastien Leleu, associé au sein de la banque d’affaires PAX Corporate Finance.

Les trésors de guerre s’accumulent

Les CGP n’ont donc pas ménagé leurs efforts pour faire briller un peu plus leur blason face à des concurrents acharnés. Parmi les conquérants du secteur, Laplace (groupe Crystal) a par exemple annoncé les acquisitions de Financière du Capitole (500 millions d’encours), Delta Finance (210 millions) et Coté Profinance (120 millions) l’an dernier. Astoria Finance a mis la main sur Fair et JEC Finances, récupérant 430 millions au passage, ainsi que sur Vectra Investissement (117 millions). Entre autres. Loin des feux de projecteurs, le notoirement discret Valoria Capital a pour sa part ajouté Roosevelt Gestion Privée (500 millions d’encours) à sa distribution, mais aussi EGA, Côte Nord Finance ou encore Assurances et Patrimoine.

Les plateformes de taille plus modeste se sont, elles aussi, démenées pour prendre la lumière. La Financière d’Orion a ainsi bouclé pas moins d’une vingtaine d’acquisitions (Servant Gestion Privée, ACS Patrimoine, FG Patrimoine…), Equance s’est offert Arthus Conseil, alors que Patrimmofi a mis la main sur Vendôme Investissement Conseil (180 millions d’encours). Permettant à ce dernier de faire ses propres emplettes. Le trophée de la fusion-acquisition « blockbuster » de l’année revient toutefois à Cyrus et Maison Herez, qui ont officialisé leurs fiançailles le 7 décembre dernier. De leur union doit naître un géant affichant environ 17 milliards d’euros conseillés.

Changements de patronage

En se disant « oui », Meyer Azogui (Cyrus) et Patrick Ganansia (Maison Herez) ont d’ailleurs signé un autre type de documents qui n’a pas manqué de parapheurs en 2023 : les contrats occasionnant des recompositions de capital. En vertu de ce papier, le family office Florac a acté son départ du casting du nouveau groupe, alors qu’il soutenait Maison Herez comme minoritaire depuis 2020. Arrivé chez Cyrus cette même année, Bridgepoint restera en revanche après les noces, avec environ 20% de l’ensemble « Cyrus – Maison Herez ».

Deux outsiders plutôt habitués à tourner dans d’autres séries (sur le courtage d’assurance, l’épargne…) ont eux aussi marqué la saison 2023 en faisant évoluer leur tour de table. Notamment dans le but de poursuivre leurs incursions en terres de CGP. Le courtier grossiste April –propriétaire de Magnacarta depuis 2022 – a ainsi bouclé en avril le transfert de la majorité de son capital de CVC à KKR, pour une valorisation estimée entre 2,3 milliards et 2,4 milliards d’euros. Soutenu depuis 2015 par NextStage AM et MI3, le spécialiste de l’épargne Irbis/Linxea a quant à lui ouvert son tour de table à IK Partners.

Deux performances très remarquées

Deux acteurs se sont toutefois distingués au point de recevoir chacun un award pour leur réorganisation de capital. Mais pour des raisons bien différentes. La première statuette est revenue au Groupe Premium, dans la catégorie « Meilleur rattrapage ». Après que son actionnaire majoritaire Eurazeo a sondé le marché pour la céder, la société dirigée par Olivier Farouz n’avait en effet pas trouvé preneur. « La faute notamment à une valorisation demandée supérieure à 1 milliard d’euros qui a été jugée excessive », confie un observateur.

Face à ce plot twist, le fonds entré au capital du groupe en 2021 a finalement opté pour un nouveau tour de financement qui a, cette fois, rencontré son public. « Finalement, il s’agit d’une belle opération qui a permis de faire entrer le géant américain Blackstone au capital de Groupe Premium comme financeur en dette et en quasi-fonds propres, aux côtés de Barings », juge un banquier d’affaires.

Pour sa part, le prix « Oh, that’s a big one » a été remis à Valoria Capital. Le groupe dirigé par Romain Lefevre a en effet accueilli l’Américain TA Associates à son capital, alors qu’IK Partners a remis au pot. La taille et le prix de l’opération ont particulièrement marqué les esprits. « Le deal s’est fait sur une valorisation proche de 20 fois l’Ebitda 2023, soit un multiple très élevé pour une transaction de cette taille dans le secteur », confirme un observateur.

Les valorisations tiennent le siège

Si l’opération de Valoria Capital représente un cas à part, les valorisations des cabinets de conseil en gestion de patrimoine ont globalement tenu bon l’an dernier. Et ce, en dépit d’un environnement proche de l’état de siège. « La remontée des taux et le ralentissement de l’économie laissaient en effet envisager une baisse des prix, mais ce n’est finalement pas ce que nous avons observé », reconnaît Alexandre Boutry, associé au sein de la banque d’affaires Blanche Capital. Dans l’ensemble, les valorisations ont plutôt stagné, et au pire légèrement reculé.

« Le multiple moyen pour les opérations que nous avons répertoriées est passé de 12,8 fois l’EBE (excédent brut d’exploitation) estimé pour l’exercice en cours à 12,6 fois, avec de fortes disparités entre les sociétés, indique Sébastien Leleu. Ces moyennes cachent toutefois d’importantes disparités. Nous observons par exemple des multiples allant plutôt de 9 à 13 fois l’EBE – voire 14 fois pour des actifs de belle taille et stratégiques – dans le cadre des cessions et des adossements. Et compris entre 13 et 20 fois pour des opérations sur le capital des plateformes. »

L’écart entre les rétributions perçues par les cédants de parts de CGP résulte également d’autres facteurs. La taille en est un parmi d’autres. « Les acteurs “locaux” – c’est-à-dire dont les encours sont inférieurs à 100 millions d’euros – peuvent généralement espérer des multiples allant de 7 à 10 fois l’Ebitda de référence – souvent celui anticipé sur les 12 mois à venir –, les  “régionaux” se situent plus souvent dans une fourchette comprise entre 10 et 13 fois l’Ebitda et les “nationaux” entre 13 et 17 fois, avance David Salabi, associé co-fondateur de la banque d’affaires Cambon Partners. Il s’agit bien sûr d’ordres de grandeur théoriques : chaque dossier à ses spécificités dont découle la valorisation finale. »

Des alliés triés sur le volet

Dynamique de croissance, qualité du management et du portefeuille clients, modèle économique ou encore synergies potentielles font partie des critères auxquels les acheteurs sont particulièrement attentifs. « Un acteur très rentable mais dont la quasi-totalité du chiffre d’affaires repose sur de la production annuelle est susceptible d’obtenir un prix de cession moins élevé qu’un cabinet qui affiche des revenus plus récurrents », relève Alexandre Boutry. Le Graal étant une société multi-talents disposant à la fois de produits dont les encours dégagent des revenus réguliers – même si leurs marges peuvent être relativement modestes (assurance vie, compte-titres, OPCVM…) – et de solutions plus one shot tels que les produits structurés ou les SCPI.

Par ailleurs, la popularité auprès des acquéreurs – industriels et financiers – fluctue en fonction d’événements externes. « Certains cabinets avec des revenus moins récurrents, très exposés aux SCPI par exemple, ont pu connaitre des baisses de valorisations l’an dernier en raison d’un marché immobilier plus difficile », illustre Sébastien Leleu. Pour autant, des spécialistes de cette classe d’actifs pourraient bénéficier d’un regain d’intérêt dès cette année. « Non seulement l’immobilier demeure un placement essentiel pour les Français, mais la classe d’actifs entre de surcroît dans un nouveau cycle », avance un banquier d’affaires.

Le casting se jette à corps perdu

Les plateformes indépendantes défendent leurs fiefs

Dès les premiers épisodes de la nouvelle saison retraçant l’épopée des CGP, le casting a affiché sa détermination à briller plus que jamais en 2024. Sans surprise, les plateformes indépendantes – soutenues par des fonds pour la quasi-totalité d’entre elles – ont rendossé leurs costumes de starring roles. En fin d’année dernière, elles étaient près d’une quinzaine à occuper la loge réservée aux encours supérieurs à 1 milliard d’euros. Un carré VIP y accueillait même les étoiles qui affichaient plus de 10 milliards conseillés. Ne s’y trouvaient toutefois que Cyrus et Maison Herez, se partageant un siège en vertu de leur future union, et Primonial Ingénierie & Développement. Mais le trio n’a pas profité longtemps de cet espace à lui seul. Il a en effet été rejoint en janvier dernier par Astoria Finance, dont l’officialisation de l’acquisition de six CGP fédérés autour de Patriam et de la société de gestion Sapienta Gestion a porté les encours à 10,5 milliards d’euros. Puis par Groupe Premium, qui a annoncé en février avoir atteint 10,1 milliards conseillés.

Surtout, Crystal a ensuite frappé un grand coup en résolvant deux des cliffhangers qui avaient le plus tenu en haleine les spectateurs lors du dernier season finale de la saga des CGP. Le groupe présidé par Bruno Narchal s’est en effet propulsé à la première place du classement des poids lourds du secteur en entrant coup sur coup en négociations exclusives pour racheter Opti Finance (1,4 milliards conseillés) et Primonial Ingénierie & Développement (13 milliards). Ce qui doit lui permettre de porter ses encours à 22,4 milliards d’euros d’ici quelques mois. La seconde a des chances de permettre à Primonial d’obtenir une nomination dans la catégorie « Meilleur rattrapage » aux prochains Emmy awards de la profession. Puisqu’à l’instar de celle de Groupe Premium l’an dernier, la cession de « PID » ne s’est pas vraiment déroulée comme prévu.

Si le jeune « club des 10 milliards » ne manquera pas de capter l’attention, les plateformes gérant entre 1 et 10 milliards n’ont pas l’intention de se faire oublier. Composé notamment de Valoria Capital, La Financière d’Orion (soutenu par Siparex), Patrimmofi (accompagnée par Andera Partners), le Groupe Rayne, Olifan (épaulé par BlackFin Capital Partners) ou encore Carat Capital (coaché par Parquest), le supporting cast est en effet loin d’être arrivé au bout de ses propres storylines. « Ces plateformes ont presque toutes des fonds à leur capital, souligne Nicolas Ibanez, associé au sein de la banque d’affaires Largillière Finance. Or ces derniers les encouragent à accélérer leur stratégie de croissance externe pour atteindre une masse critique. » Sans les fonds, notre classement exclusif (ci-dessous) des poids-lourds indépendants du secteur serait ainsi probablement bien différent.

Les meilleurs espoirs sortent du bois

Toute série à succès introduit régulièrement de nouveaux personnages pour pimenter ses intrigues. Celle des CGP n’y fait pas exception. Les figures désormais bien connues du secteur vont ainsi devoir partager l’écran avec certains visages qui montent en puissance. S’il n’a rien d’un illustre inconnu, Rhétorès fait par exemple partie des acteurs « à moins de 1 milliard d’encours » qui font de plus en plus parler d’eux. Mais c’est également le cas de jeunes talents qui n’ont que très récemment rejoint la distribution de la saga des CGP. Fondé l’an dernier et piloté par les deux ex-Magnacarta Vincent Couroyer et Arnaud Bayzelon – dont les noms sont, eux, familiers au secteur –, Metagram a ainsi attiré Meanings Capital Partners comme actionnaire majoritaire et a déjà fédéré plusieurs cabinets en quelques mois. Il revendique ainsi « plus de 500 millions d’encours », tout comme le Savoyard Synalp. Ce dernier a démarré l’année en cédant une part minoritaire de son capital à Capital Croissance et en bouclant six acquisitions.

D’autres CGP se sont quant à eux offert un rebranding pour donner un nouvel élan à leur carrière. Laurent Halimi et Jérôme Rusak ont ainsi regroupé plusieurs cabinets, dont L&A Finance, pour former le Groupe Rayne en septembre dernier. Et agréger 1,9 milliard d’euros conseillés au passage. Même combat du côté d’Hubsys et de Cercle France Patrimoine, qui ont annoncé leur projet de fusion début février pour former un groupement de 29 cabinets collectivement dotés de 3 milliards d’encours. Aperçus lors de quelques caméos la saison dernière, une poignée de CGP non soutenus par des fonds – pour le moment – et conseillant quelques centaines de millions d’encours ambitionnent pour leur part d’animer davantage le segment des plus petits deals cette année. CG Patrimoine et Hyperion Capital en font partie.

Les industriels explorent de nouvelles contrées

Mais les protagonistes dont le conseil en gestion de patrimoine représente l’expertise historique – à l’exception d’April, Irbis/Linxea, Groupe Premium et Synalp – devront aussi se mesurer à des transfuges d’autres industries, attirés par les terres fertiles du secteur. Les crossovers ont d’ailleurs déjà démarré. « Nous l’avons par exemple observé l’an dernier avec le courtier Meilleurtaux qui a racheté Patrimea ou avec l’assureur Apicil qui a mis la main sur le spécialiste de la gestion de patrimoine dématérialisée Nalo, souligne Nicolas Ibanez. Ces rapprochements peuvent être porteurs de synergies pour ces typologies d’acteurs. »

Si Meilleurtaux avait commencé à investir le champ de l’épargne en 2019 en rachetant le courtier en ligne de produits financiers (assurance vie, retraite, PEA…) Mes-placements.fr, l’acquisition de Patrimea lui a permis de faire passer ses encours de 3,3 milliards à 3,7 milliards d’euros dans ce domaine. Aujourd’hui, son pôle Meilleurtaux Placement revendique pas moins de 4,6 milliards d’encours. Faire entrer dans son giron un héraut du digital peut par ailleurs représenter un atout décisif dans une stratégie de conquête. « L’acquisition de Linxea par Irbis montre bien l’intérêt de certains groupes pour des solutions permettant de mieux capter l’épargne des particuliers via des canaux digitaux », confirme David Salabi.

Grand coups portés par les outsiders

Apparu sur les écrans en 2000, Groupe Premium a lui aussi fait ses premiers pas dans le courtage d’assurance. Avant de se lancer dans l’asset management en 2006 avec Fox Gestion d’Actifs (devenu Flornoy Ferri), puis dans le conseil en gestion de patrimoine en 2018 en rachetant Capfinances. Le groupe revendique aujourd’hui 10,1 milliards d’encours, dont 3,4 milliards en gestion de patrimoine. Finzzle figure également parmi les non-spécialistes qui avancent leurs pions sur l’échiquier de la gestion de patrimoine. Né en 1992, il a démarré par l’immobilier locatif (Stellium Immobilier), avant de se lancer dans l’assurance vie et d’autres supports d’investissements. Réunis dans Stellium Placement, ces derniers représentent aujourd’hui 2,2 milliards d’euros d’encours confiés.

Du côté des mutuelles, la Carac a mis la main sur le réseau français d’Ageas et ses 4 milliards d’encours l’an dernier – avant de le renommer Selencia – et était finaliste pour le rachat d’Opti Finance en début d’année. Tout juste entré dans le giron d’Aéma Groupe, Abeille Assurances a pour sa part acquis 100% du capital de l’UFF en mars 2023, ajoutant environ 12 milliards à ses encours. En y additionnant ceux de ses filiales Épargne Actuelle – qui a absorbé les Bureaux de l’Épargne – et VIP Conseils, l’ex-Aviva France affiche environ 35 milliards d’actifs conseillés en gestion de patrimoine. Avec 6,7 milliards d’encours et sa propre société de gestion (Eres Gestion), Eres Group veut pour sa part établir de plus en plus de passerelles entre ses métiers historiques que sont l’épargne-retraite et l’épargne salariale et l’épargne… tout court. En témoigne le lancement de son premier contrat d’assurance vie avec Spirica l’an dernier.

Mais l’outsider qui a réalisé le plus gros coup depuis le début du tournage de la nouvelle saison des chroniques des CGP est sans équivoque April. Une décennie après avoir cédé son activité de conseil en gestion de patrimoine à Crédit Agricole Assurances, le courtier grossiste avait déjà posé les jalons de son come-back en 2022 en acquérant Magnacarta, dont les encours avoisinaient 2,5 milliards à l’époque. « Or il a annoncé en janvier dernier son projet de racheter DLPK, un acteur majeur de l’épargne, du conseil en gestion de patrimoine ou encore de la gestion collective et sous mandat [dont Blackfin Capital Partners détenait 34% du capital depuis 2018, NDLR] », souligne David Salabi. L’opération est d’une toute autre envergure, puisqu’elle doit apporter à April 12,5 milliards d’encours, principalement en assurance vie, en compte titres et en mandats. De quoi porter ceux du groupe à environ 15 milliards d’euros et d’ajouter des marques comme Nortia et Tailor Asset Management à son arsenal.

De l’action attendue sur tous les fronts

Les mariages repartent de plus belle

Les premiers épisodes de la saison 2024 de la saga des CGP laissent augurer une nouvelle année riche en émotions. Les amateurs et amatrices de rom-coms devraient notamment se délecter des mariages royaux et princiers attendus ces prochains mois : Cyrus – Maison Herez, Crystal – Primonial Ingénierie et Développement – Opti Finance, April – DLPK, Hubsys – Cercle France Patrimoine… Et d’autres unions suivront sans aucun doute. « Il n’est pas certain que de nouveaux rapprochements entre les plus grandes plateformes surviennent dès cette année, mais il semble acquis que ce sera le cas durant celles qui viennent, prédit David Salabi. Plus largement, les plateformes sous LBO ont encore d’importantes liquidités et nombre de discussions sont en cours, notamment pour acquérir des CGP dont les encours vont de 50 à 400 millions d’euros. »

La consolidation du secteur est donc loin d’être terminée. « Le conseil en gestion de patrimoine, c’est un peu le courtage d’assurance d’il y a quelques années », lance Nicolas Ibanez. Et pour cause, malgré la succession d’opérations de M&A, le nombre de CGP toutes catégories confondues reste estimé entre 3 500 et 4 500 cabinets en France (selon la définition choisie). Et comme l’illustrent les CGP Nomades, la profession continue de se renouveler avec l’arrivée de nouveaux entrepreneurs. Ce qui n’est pas sans incidence sur les alliances envisagées. « Il y a encore cinq ans, 90% de nos deals portaient sur de la transmission de cabinet pour cause de départ à la retraite, illustre Alexandre Boutry. Aujourd’hui, les dirigeants qui nous sollicitent ont rajeuni et la moitié de nos dossiers concernent des rapprochements entre CGP. Ces derniers peuvent notamment souhaiter s’adosser à des groupes d’une certaine taille pour bénéficier de plus de support sur divers sujets (back office, middle office, compliance …). »

Cliffhangers en attente de résolution

Lier son destin à celui d’une autre maison n’est évidemment par une décision que les CGP prennent à la légère. Que les protagonistes discutent de gré à gré – comme cela serait de plus en plus le cas, selon plusieurs banquiers d’affaires – ou rencontrent différents prétendants, la cour dure souvent de longs mois. Et les fiançailles peuvent être rompues jusqu’au dernier moment. Primonial s’en souvient bien, laissé à l’autel par Altarea début 2022 durant le mémorable épisode du « Red Wedding » de la série des CGP.

De ce fait, plusieurs cliffhangers mettent encore les nerfs des spectateurs à rude épreuve. Certes, Crystal a résolu celui de la cession de Primonial Ingénierie et Développement et a fini par officiellement passer la bague au doigt d’Opti Finance en mars. Mais de son côté, Patrimmofi attend toujours le « oui » de Patrimoine & Gestion (500 millions d’encours). Quant à Eres Group, son propriétaire IK Partners devrait chercher à lui trouver un nouvel actionnaire au cours du premier semestre.

D’autres réorganisations capitalistiques sont d’ailleurs probables. « Les capacités de certains fonds pourraient se révéler insuffisantes pour permettre à leur plateforme d’acquérir un acteur de taille importante, ce qui nécessiterait de trouver de nouveaux partenaires capitalistiques, indique Sébastien Leleu. L’année 2024 va être très intéressante sur ce volet, avec plusieurs grandes manœuvres à venir. »

Les nouveaux-venus se jettent dans la bataille

Les scénaristes n’oublient pas non plus les jeunes espoirs qui sont appelés à animer eux aussi le feuilleton des CGP ces prochaines années. De nouveaux cabinets pourraient ainsi quérir des budgets supplémentaires auprès de financeurs pour mener leurs campagnes. « L’un de nos principaux enjeux en 2024 sera à nouveau d’accompagner des sociétés dans leurs opérations de financement, indique Alexandre Boutry. Y compris des acteurs qui souhaitent ouvrir leur capital à un fonds pour la première fois afin de se lancer à leur tour dans une phase de build-up. »

Car les sérivores en sont convaincus : les groupes et groupements de CGP vont continuer d’émerger à différentes échelles. Comme l’illustrent les récents projets « Hubsys – Cercle France Patrimoine », Metagram ou encore Synalp. Après s’être implanté l’an dernier dans le Sud-Ouest et en Île-de-France, le second souhaite par exemple s’installer dans deux nouvelles régions cette année et porter ses encours à 1 milliard d’euros.

Un seuil que le troisième espère franchir dès cet été, et réaliser « entre 15 et 20 opérations de croissance externe » avant la fin des tournages 2024. Le Groupe Rayne ne cache pas non plus sa volonté de jouer de nouvelles scènes de rachats, ayant obtenu un financement en dette de Tikehau Capital il y a quelques mois. CG Patrimoine vise quant à lui les 450 millions d’encours à fin mars, alors que Hyperion Capital prépare également de nouvelles acquisitions.

Les valorisations défendent leur honneur

La poursuite attendue des transactions dans la gestion de patrimoine tient en grande partie à la trajectoire des valorisations dans le secteur. « Puisque ces dernières tiennent, les fonds ont de bonnes raisons de vouloir faire tourner leurs positions en 2024 et 2025, a fortiori avant l’élection présidentielle française et les incertitudes qui l’entourent », avance un banquier d’affaires qui a souhaité garder l’anonymat. Au-delà de ce supposé effet « flash forward », les valorisations semblent garder leur éclat avant tout parce que les attributs du secteur font toujours briller les yeux des investisseurs.

« Les CGP ne captent que 7% de l’encours géré en épargne aujourd’hui, le solde étant quasi-exclusivement aux mains des banques et des assureurs, rappelle un observateur du marché. Mais le volume d’activité des conseillers en gestion de patrimoine augmente bien plus rapidement, d’environ 5% par an depuis plusieurs exercices, alors que celui du marché ne bouge presque pas. Certes, les acteurs “digitaux” affichent des taux de croissance pouvant atteindre 20% à 30% par an. Mais leurs encours à eux représentent encore moins de 1% du marché. »

Un CGP paierait toujours ses dettes

Au royaume des CGP, certains édits ont en outre récemment ouvert de nouvelles portes à la profession. La dernière réforme des retraites en date en fait partie, puisqu’elle a incité de nombreux épargnants à préparer davantage leurs vieux jours en « mettant leur argent au travail ». Surtout, les investisseurs ont été bluffés par la capacité du secteur à encaisser les chocs. « Les fonds ont réalisé qu’il avait très bien traversé la crise du covid-19 et s’y sont donc beaucoup plus intéressé à partir de moment-là », souligne un banquier d’affaires. Une résistance due en partie à la nature même de son activité. « La gestion de patrimoine et plus largement les services financiers bénéficient généralement de revenus récurrents et moins sensibles que d’autres industries aux cycles économiques, explique Nicolas Ibanez. Cela leur attire les faveurs des investisseurs, entrainant des épisodes de flight to quality. »

Reste qu’au titre de cette même « fuite vers la qualité », nombre de sociétés de gestion affirment éviter en ce moment les entreprises lourdement endettées. Or la plupart des plateformes de CGP sont sous LBO et recourent à la dette pour financer des acquisitions. Pour autant, les spectateurs de la série ne frissonnent aucunement face au spectre d’un défaut de paiement. « Des fonds comme KKR, Tikehau Capital ou encore Blackstone s’intéressent au secteur, et nous nous dirigeons en outre vers des jours meilleurs avec les baisses de taux anticipées en 2024 et en 2025 », assure Nicolas Ibanez.

Et Sébastien Leleu d’enfoncer le clou en vantant la capacité du secteur à générer du cash. « L’intérêt des banques et des fonds est intact, notamment compte tenu de la capacité de certains acteurs à se désendetter plus vite qu’escompté grâce à leur stratégie de croissance, insiste l’associé de PAX Corporate Finance. Nous ne voyons aucun problème de liquidité parmi les grands acteurs du secteur. Certes, certains cabinets ont avec le recul probablement été achetés trop cher au regard de leur rentabilité. Mais les plateformes sont bien attentives à leur effet de levier et à la mise en place de synergies rapides avec leurs cibles. »

Pieds et poings liés aux fonds ?

Si la storyline « problème de dette » a manifestement été rayée du script de la saison 2024 de la série des CGP, certains observateurs s’interrogent en revanche sur la capacité de certains studios à pouvoir s’offrir encore longtemps les plus grandes stars du secteur. « Je me demande quel industriel aura la capacité d’acquérir une plateforme conseillant plusieurs dizaines de milliards d’euros d’ici quelques années », confiait récemment en coulisses le directeur général de l’une des dix plus grandes sociétés de gestion françaises.

Là encore, aucune larme ne monte aux yeux des experts face aux doutes. « Certes, des plateformes pourraient devenir trop grosses pour repartir dans le circuit industriel, reconnaît Nicolas Ibanez. Mais les fonds seront, eux, toujours là. Et nombre d’entre eux, notamment internationaux, ont largement les moyens d’acquérir des entreprises valorisées plusieurs milliards d’euros. »

Arcs en quête de nouvelles cordes

Que cette prophétie s’avère exacte ou non, les CGP ne manquent pas d’arguments pour faire financer de nouvelles opérations de conquête. « Nous et nos pairs recherchons des effets volumes car nous avons besoin de plus de valeur ajoutée, de ressources humaines, financières et de technologie », résumait ainsi Meyer Azogui, président de Cyrus, lors d’une conférence de presse en janvier dernier. Car à l’instar de leurs cousins asset managers, les gestionnaires de patrimoine doivent assumer des coûts croissants, notamment induits par des évolutions règlementaires. Ce qui a incité des acteurs comme La Financière d’Orion, Crystal ou encore Nortia à développer des solutions permettant à de plus petits CGP de mutualiser certains coûts (back office, compliance…).

Pour d’autres, l’un des arguments-massues pour faire porter sa bannière à de nouvelles recrues est l’extension du maillage territorial. C’est par exemple le cas chez Valoria Capital, Astoria Finance et Groupe Premium. L’acquisition d’expertises complémentaires représente également un puissant facteur de motivation. « À l’image de certains groupes, des cabinets veulent proposer une offre à 360 degrés pour accompagner leurs clients sur des sujets allant de l’ingénierie patrimoniale au conseil financier, en passant par la prévoyance, la santé ou la retraite », relève Alexandre Boutry.

La cour aux sociétés de gestion

À ce titre, faire entrer un gestionnaire d’actifs à sa cour apporte un lustre tout particulier à un châtelain CGP. Suivant la voie tracée par Cyrus, Maison Herez, Groupe Premium ou encore Crystal, certains CGP se sont ainsi offert en 2023 leur premier asset manager. Rhétorès a par exemple croqué Dauphine AM (285 millions d’euros sous gestion à l’époque) l’été dernier, tandis que Finare (propriétaire notamment d’ECA Patrimoine et de Selfepargne) a pris une participation minoritaire chez Trusteam Finance. La saison 2024 s’est quant à elle ouverte avec le rachat de Sapienta Gestion par Astoria Finance et le projet d’absorption de Fourpoints IM par Amplegest au sein du futur Cyrus-Maison Herez. De son côté, Crystal s’attèle toujours à choisir les gérants auxquels il exposera les fonds de sa société Zenith AM. « Une partie des groupes de conseil en gestion de patrimoine font en effet plutôt de la multi-gestion que de la gestion d’actifs en direct », remarque un spécialiste des fusions-acquisitions du secteur.

Seule une poignée de plateformes de taille significative ne dispose pas encore de son propre asset manager : Valoria Capital, Groupe Rayne, Patrimmofi, Carat Capital, Olifan ou encore La Financière d’Orion. Certains pourraient toutefois se laisser convaincre à leur tour, compte tenu des avantages supposés découler de telles opérations. « Il peut s’agir d’un moyen d’étendre sa clientèle, notamment auprès des investisseurs institutionnels via la gestion sous mandat, souligne un banquier d’affaires. Mais aussi de s’internationaliser davantage. »

D’autant qu’accorder son patronage à une société de gestion offre aussi l’occasion pour un groupe de gestion de patrimoine de faire évoluer le modèle économique de son domaine. « Un CGP peut vouloir mettre la main sur un asset manager pour optimiser ses marges, proposer une offre maison, mais aussi sécuriser une partie de ses revenus, notamment dans un contexte de discussions autour de l’avenir des rétrocessions », confirme Sébastien Leleu. Et pour cause, cette dernière forme de rémunération générait pas moins de 71% des revenus des CGP CIF (conseillers en investissements financiers) en 2021, selon l’AMF ! Or le dragon que représente le risque d’interdiction de ces émoluments par l’Union européenne pourrait à nouveau faire une apparition durant la saison 2026 de l’épopée des CGP. Les jeunes chevaliers en sont d’ailleurs bien conscients. Par exemple, le nouveau-né de la gestion privée Meridem a d’emblée choisi de baser son modèle économique à la fois sur les rétrocessions et les honoraires.

À la conquête du peuple

Plus globalement, les acteurs de la gestion de patrimoine choisissent leurs nouvelles recrues également en fonction du type de public qu’elles sont susceptibles de leur apporter. Pour capter l’attention du peuple au sens large, Meilleurtaux, April, Apicil ou encore Irbis ont par exemple misé sur des structures munies d’outils digitaux de nature à séduire les épargnants. D’autres s’efforcent d’améliorer leur jeu en interne dans ce domaine, avec le même objectif. « Cyrus a par exemple développé son propre CRM [Customer Relationship Management] pour mieux gérer la relation client », illustre Sébastien Leleu.

Plutôt que de viser le mass(ish) market, d’autres conquérants cherchent à se faire davantage remarquer par une clientèle estampillée « prestige ». Ils se positionneront ainsi plutôt dans le champ des gestionnaires privés, des family offices – qui servent une seule famille fortunée – et des multi-family offices – qui en servent plusieurs. Là encore, la captation de nouvelles scènes de croissance externe ne serait pas surprenante à l’avenir. « Astoria Finance est par exemple entré dans cette démarche avec le renforcement de son pôle de gestion privée en cours », remarque Nicolas Ibanez. De même, Carat Capital a lancé la marque Hedon Family Office en janvier dernier, fruit notamment de l’acquisition d’Umani et de Famille et Valeurs.

Aujourd’hui des familles, demain des dynasties ?

Reste que le partage d’un plateau de tournage entre CGP et family officers ne va pas forcément de soi pour tout le monde. « Ces professions n’ont pas toujours la même culture : les multi-family offices conseillent généralement un volume d’encours plus important mais un nombre de clients plus restreint que les CGP », avertit Sébastien Leleu. Tout en reconnaissant que « cela n’empêche pas forcément des opérations de croissance externe entre eux, lorsqu’elles s’inscrivent dans une stratégie de montée en gamme. » De fait, « de plus en plus de family offices nous sollicitent pour explorer des opportunités de rapprochement », abonde un autre banquier d’affaires.

Attachés à leur côté indie, certains family offices privilégient toutefois une voie alternative à l’adossement à un grand studio de gestion de patrimoine. Pour tracer leur propre chemin, ils n’hésitent en revanche pas à s’inspirer des aventures de leurs pairs CGP. Revendiquant 1 milliard d’encours conseillés, le multi-family office – également asset manager – Sagis s’est ainsi retrouvé sous les feux des projecteurs à l’automne dernier en accueillant le fonds Siparex à son capital comme actionnaire minoritaire. Et a clairement énoncé l’un des buts de l’opération : réaliser, lui aussi, des acquisitions. De quoi poser les jalons d’un futur spin-off sur les MFOs ?