Stéphane Janin : “MIFID 2, SFDR, CSRD et la taxonomie doivent être mieux coordonnés”

Stéphane Janin
Stéphane Janin plaide pour un report de la mise en application de la révision de MIFID 2 concernant les préférences ESG des investisseurs.

Interview – Révision de MIFID 2, AIFM, UCITS, CSRD, ELTIF…  Stéphane Janin, responsable mondial des évolutions réglementaires et des affaires publiques chez AXA Investment Managers, décrypte les principaux chantiers réglementaires de la gestion d’actifs. Et en profite pour faire passer plusieurs messages aux législateurs. 

De nombreux chantiers réglementaires sont en cours au niveau européen en ce qui concerne la gestion d’actifs. Quels sont ceux qui vous préoccupent le plus ?

A très court terme, nous scrutons particulièrement l’implémentation de MIFID 2 (Markets in Financial Instruments Directive) concernant les préférences ESG des clients. L’ESMA a sorti une consultation le 27 janvier dernier pour guider les régulateurs nationaux dans la mise en œuvre pratique des questionnaires définissant les préférences ESG (environnementales, sociales et de gouvernance) des investisseurs. Or le calendrier est serré : les distributeurs de produits financiers, les conseillers en investissement et les sociétés de gestion sont censés commencer à interroger leurs clients dès le mois d’août. D’autant que cette obligation concernera à la fois la clientèle des particuliers (retail) et la gestion sous mandat, qui inclut institutionnels, privés et professionnels. Nous pensons qu’une telle consultation à six mois de la date de mise en œuvre de cette révision de MIFID 2 plaide pour son report à janvier 2023, voire au-delà.

Pourquoi le calendrier actuel vous semble-t-il trop serré ?

La mise en place du questionnaire sur les préférences ESG est intrinsèquement lié à d’autres chantiers réglementaires en cours dans la finance durable : le SFDR (Sustainability Finance Disclosure Regulation), la taxonomie et la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). Or les normes techniques (RTS) du niveau 2 du SFDR n’entreront pas en vigueur avant janvier 2023 et la CSRD, qui définira les standards de communication extra-financière des entreprises, sera applicable au plus tôt en 2024. Comment pourrions-nous apporter à nos clients des réponses alignées avec les futures exigences des régulateurs si celles-ci ne sont pas connues ? Il faudrait davantage coordonner la révision de MIFID 2, SFDR, la taxonomie et la CSRD, qui ont été traitées en silos au sein du Plan d’action de la Commission européenne pour la finance durable lancé en 2018.

Parvenez-vous à faire passer ce message auprès des régulateurs ?

J’ai l’impression que notre message concernant le calendrier a au moins été compris au sein de l’ESMA. Cette dernière partage notre préoccupation mais elle est elle-même soumise à un calendrier qui a été acté par la Commission, le Parlement européen et le Conseil. La procédure pour revoir ce calendrier sera lourde, avec 27 États-membres qui devront se prononcer. Dans un premier temps, il faudra déjà que l’ESMA arrive à convaincre la Commission européenne.

Vous évoquiez la taxonomie européenne. La Commission devrait a priori confirmer le 2 février l’inclusion sous conditions du nucléaire et du gaz parmi les énergies « vertes ». Quelles conséquences cette décision aurait-elle sur l’allocation d’actifs d’AXA IM ?

La récente publication du rapport de la plateforme d’experts sur la taxonomie a relancé les débats à Bruxelles et dans les États-membres à ce sujet. Nous suivrons avec attention les débats et espérons qu’une solution satisfaisante pour tout le monde sera trouvée. C’est un sujet extrêmement compliqué car il est politique, économique et sociétal en plus d’être financier. Il est trop tôt pour évaluer l’impact de la décision finale concernant l’inclusion ou non du gaz et du nucléaire dans la taxonomie sur notre allocation d’actifs car trop de scenarios différents sont encore possibles.

Quels dossiers relatifs à la gestion d’actifs pourraient le plus bénéficier de la présidence française du Conseil de l’Union européenne jusqu’à fin juin ?

Nous sommes en contact avec l’Élysée et le Trésor sur les sujets qui touchent l’asset management et les autorités françaises ont bien conscience que nous sommes la première place de gestion de l’Union européenne. Nous sommes déjà très satisfaits que la Commission européenne n’ait proposé en novembre dernier qu’une révision limitée de la directive AIFM (Alternative Investment Fund Managers) plutôt qu’une refonte globale qui aurait remis en cause son efficacité. Ce qui est par exemple proposé sur le volet des règles de délégation de gestion de portefeuille (à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE) nous semble tout à fait raisonnable.

N’y a-t-il pas tout de même des « sujets AIFM » sur lesquels vous restez vigilants ?

Bien sûr, nous surveillerons notamment les amendements qui vont arriver au Conseil et au Parlement européens concernant les outils de gestion du risque de liquidité (liquidity management tools) pour les fonds alternatifs (et qui seront aussi étendus aux fonds UCITS). Les mesures envisagées doivent être raisonnables et praticables. Certes, nous soutenons le fait que la Commission européenne a proposé de donner à l’ESMA un mandat pour définir les critères de sélection et d’utilisation des outils de gestion du risque de liquidité par les sociétés de gestion. Mais nous craignons que l’ESMA puisse involontairement définir des paramètres de marché qui déclencheraient automatiquement la mise en place d’outils comme les gates [mécanismes de plafonnement des rachats]. Une telle approche poserait à mon sens un risque systémique puisque de nombreux acteurs se retrouveraient à faire la même chose au même moment. Pour éviter de tels écueils, nous plaidons pour une rédaction plus fine du texte de la Commission qui encadrerait davantage les marges de manœuvre de l’ESMA.

Quid des nouvelles restrictions que la révision de la directive AIFM pourrait engendrer pour les fonds de prêts (loan originating funds) ?

Pour la première fois au niveau européen, les fonds alternatifs qui octroient des prêts pourraient se voir imposer une rétention de 5% de la valeur notionnelle des prêts qu’ils ont originés et vendus dans la foulée sur le marché secondaire. L’objectif est de leur faire porter une part du risque de crédit. Nous comprenons la volonté de responsabiliser davantage ces véhicules mais en faire une obligation absolue risque de compliquer leur gestion. Nous voudrions donc que le cadre réglementaire soit tempéré par des exemptions. C’est déjà le cas en France depuis 2016 : les loans originating funds peuvent se soustraire à la rétention si elles démontrent, par exemple, que celle-ci entraverait le respect de leurs règles de fonctionnement général.

La révision de la directive AIFM pourrait aussi contraindre les sociétés de gestion à préciser le mode de calcul des frais des fonds alternatifs. Qu’en pensez-vous ?

Nous nous passerions bien d’un quatrième mode de calcul des frais de nos fonds. Le cadre européen nous en impose déjà un pour nos fonds UCITS [Undertakings for Collective Investments in Transferable Securities, c’est-à-dire organismes de placement collectif en valeurs mobilières], un dans le cadre du règlement PRIIPS (Packaged Retail Investment and Insurance-based Products) et un autre pour MIFID 2. Multiplier les paramètres de calcul des frais risque de compliquer l’articulation des différents pans réglementaires et nécessiter beaucoup de travail en interne. Nous sommes donc réticents à ce que les dispositions évoquées dans le texte actuel subsistent.

D’autant que la directive UCITS pourrait elle aussi être modifiée pour demander plus de reporting aux sociétés de gestion…

La Commission souhaite en effet que les fonds UCITS fassent l’objet d’un reporting harmonisé européen, comme c’est le cas pour les fonds alternatifs. Nous transmettons déjà périodiquement aux régulateurs nationaux des informations standardisées sur nos fonds alternatifs et les inventaires détaillés de nos fonds UCITS aux banques centrales nationales. Nous ne voyons pas pourquoi nous devrions encore mettre en place des processus supplémentaires de reporting qui seraient coûteux. D’autant que nos concurrents anglo-saxons ne sont pas soumis à de telles exigences ! Les responsables politiques et les régulateurs doivent garder en tête que le concept européen d’autonomie stratégique – revenu en force depuis le Brexit – s’applique aux services financiers. Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, la compétitivité des sociétés de gestion européennes doit être préservée pour continuer de financer nous-mêmes notre économie. Nous devons le moins possible dépendre de centres de décisions situés en dehors de l’UE.

Le cadre réglementaire des fonds ELTIF (fonds européens d’investissement à long terme) va lui aussi évoluer. Cela va-t-il vous inciter à vous positionner sur ce marché qui pesait à peine 2,4 milliards d’euros en avril dernier ?

Nous soutenons les fonds ELTIF car nous pensons que ce sont de bons outils qui n’ont pas marché. Ils sont le complément des fonds UCITS pour les particuliers car ils permettent d’investir dans des actifs de long terme (infrastructures, private equity…) en complément des valeurs mobilières des UCITS. Mais les paramètres réglementaires actuels des fonds ELTIF sont trop contraignants pour leur commercialisation. Il faudrait qu’ils puissent être vendus beaucoup plus facilement auprès de clients particuliers de l’ensemble de l’UE, par exemple en faisant disparaître le seuil d’investissement actuel de 10 000 euros. Une autre mesure pour renforcer leur attrait serait de simplifier leurs règles de gestion, notamment sur le volet de la vérification de l’adéquation entre le produit et le profil du client (suitability test). Si la réglementation évolue dans ce sens, nous pourrions tout à fait demander le label ELTIF pour certains de nos fonds existants dans les infrastructures et le private equity. L’appétit de nos clients français est en tout cas déjà là.

Propos recueillis par Florian Delambily et Guillaume Clément.

Que pensez-vous du sujet ?
Après des études en science politique entre Lausanne, Vancouver et Paris, Guillaume décroche son premier job de journaliste à la radio suisse LFM. Concomitamment, la crise des subprimes éclate et donne à ce fils de facteur l’envie de mieux comprendre le monde de l’économie et de la finance. Il rejoint en 2009 le magazine suisse d’asset management Banco, puis Option Finance, Le Revenu et News Asset Pro. Bien que Haut-savoyard, Guillaume ne sait pas skier.