L’ambiance était à la fête sur les marchés financiers en 2021, malgré quelques baisses de moral liées à la pandémie et à l’inflation. L’atmosphère pourrait être moins joyeuse en 2022 avec la fin de l’open bar des banques centrales.


Par Guillaume Clément

Début de soirée : les marchés s’ambiancent

   

L’économie se lâche

Décidée à oublier 2020, l’économie mondiale a fait feu de tout bois en 2021. Après s’être contracté de 3,1%, le PIB mondial devrait avoir rebondi de 5,9% l’an dernier, selon le FMI. Du jamais-vu depuis 1973!

Parmi les champions de la croissance, figurent les États-Unis (6% escomptés), la zone euro (5%) et l’Inde (9,5%). Ayant moins souffert en 2020, l’Allemagne devrait se contenter de 3,1%, alors que la Chine pourrait afficher un taux de 8%.

Pourquoi un tel rebond ?

La réouverture des économies post-confinements s’est accompagnée d’un fort rebond de la consommation des ménages, tirant la reprise de la production de biens durables. Le pouvoir d’achat a été globalement préservé grâce aux plans de soutien historiques des gouvernements, dans la veine du « quoiqu’il en coûte ».

En France, les ménages ont accumulé 187 milliards d’euros de surépargne entre le début de la pandémie et fin octobre 2021, d’après la Banque de France.

Aux États-Unis, Joe Biden a réussi à faire adopter un plan de soutien aux ménages et aux entreprises de 1 900 milliards de dollars en mars dernier, suivi d’un plan infrastructures de 1 200 milliards en novembre. Ces montants s’ajoutent aux 900 milliards débloqués fin 2020 et aux 2 500 milliards dépensés par Donald Trump durant la dernière année de son mandat. En Europe, le plan Next Generation EU de 807 milliards d’euros a commencé à être distribué aux États-membres sous forme de subventions ou de prêts.

L’argent coule à flots

Cette générosité n’aurait pas été possible si les banques centrales n’avaient pas décidé de payer une tournée générale. La FED a annoncé un QE « infini » début 2020, faisant plus que doubler la taille de son bilan. Il avoisinait 8 700 milliards de dollars fin décembre.

Quasi-concomitamment, la BCE lançait le Programme d’achats d’urgence pandémique (PEPP), calibré à 1 850 milliards d’euros, tout en poursuivant son programme de rachat d’actifs hérité de la crise de la zone euro en 2015, l’APP (Asset Purchase Program) et en menant de nouvelles opérations de refinancement à long terme des banques (TLTRO). De quoi faire également doubler son bilan, à plus de 8 000 milliards d’euros.

Contre-soirée chinoise

La Chine n’a pas vibré au même rythme que les États-Unis et l’Europe. Son économie ayant moins souffert de la pandémie, le soutien monétaire et budgétaire de Pékin a été inférieur à 20 points de PIB, contre près de 40 points après la faillite de Lehman Brothers, selon les données d’IM Global Partner. Seul poids-lourd à afficher une croissance positive en 2020 (2,3%), la Chine a toutefois perdu de la vigueur l’an dernier, avec une hausse de PIB de « seulement » 4,9% en glissement annuel au troisième trimestre.

De surcroît, le pays fait face depuis l’été dernier à un risque croissant de crise immobilière, secteur qui représente pas moins de 30% de son PIB. En cause, les graves difficultés d’Evergrande, promoteur immobilier le plus endetté au monde avec près de 300 milliards de dollars de créances, auxquelles s’ajoutent les problèmes d’autres acteurs comme Kaisa, Sunshine 100 et Fantasia. Face à ces risques, la banque centrale chinoise s’est résolue à assouplir les exigences de fonds propres des banques pour leur permettre de prêter davantage, notamment aux entreprises et aux collectivités locales. L’institution monétaire devrait en outre se montrer plus accommodante cette année.

En parallèle, le Parti communiste chinois (PCC) a resserré l’étau sur les grandes entreprises. Après avoir, fin 2020, fait « disparaitre » pendant trois mois le fondateur d’Alibaba Jack Ma et empêché la cotation de sa filiale Ant Group, le gouvernement à porté un coup à Tencent en restreignant l’utilisation des jeux vidéo, ainsi qu’au secteur de l’éducation privée. Les grands patrons chinois n’ont dormi que d’un œil l’an dernier et le retrait forcé de Didi (le Uber chinois) de la Bourse de New York en décembre entretient probablement leur fébrilité pour 2022.

Les marchés actions s’enivrent

La fête battait son plein sur les marchés en 2021, et même les tensions inflationnistes et le variant Omicron n’ont pas pu l’arrêter. Aux États-Unis, l’indice Dow Jones a franchi le niveau inédit de 36 000 points en novembre, alors qu’en France le CAC 40 est passé au-dessus des 7 000 points le même mois, pour la première fois depuis l’an 2000.

De quoi permettre aux sociétés de régaler leurs actionnaires. Après une baisse de 11,9% en 2020, Janus Henderson prévoit un rebond de 15,6% du montant global des dividendes versés par les entreprises cotées à l’échelle mondiale en 2021. Estimé à 1 460 milliards de dollars, il dépasse le précédent record établi en 2019, 1 429 milliards. De même, les rachats d’actions pourraient excéder 1 000 milliards sur l’année écoulée rien qu’aux États-Unis, d’après les calculs de Bloomberg.

Cerise sur le gâteau, le fameux effet TINA (There Is No Alternative) a continué de jouer à plein l’an dernier. La faiblesse persistante des taux d’intérêts a en effet permis aux actions de conserver leur statut de classe d’actifs liquides la plus performante. Simply the best !

Les obligations dans le mal

La mise à l’arrêt de l’économie début 2020 et les politiques monétaires qui ont suivies ont fait chuter les taux d’emprunt de la majorité des États. Malgré leur remontée l’an dernier, ils restent sur des niveaux historiquement bas, tant du côté des valeurs refuges comme les bons du Trésor américain ou le Bund allemand que de celui de pays « périphériques » comme l’Italie.

Même constat du côté des entreprises. Les primes de risque sur le marché de la dette corporate se sont fortement réduites. « Un tiers des entreprises européennes notées Investment Grade empruntaient toujours sur les marchés à taux négatif en fin d’année dernière », souligne Stéphane Deo, directeur stratégie marchés chez Ostrum Asset Management.

Les spécialistes des marchés ne jugent toutefois pas cette situation anormale compte tenu des fondamentaux des entreprises, qui sont globalement restés plutôt bons pour l’instant.

Tout confondu (dette souveraine, corporate…), près de 15 000 milliards de dollars d’obligations affichaient un rendement négatif au niveau mondial à fin septembre 2021. Soit près de 22% du marché obligataire global, contre environ 8% fin 2019 !

Les gérants commencent tout de même à en avoir assez de cet environnement. D’autant que même si les taux nominaux ont commencé à remonter, l’inflation empêche toujours une grande partie des rendements réels de repasser au-dessus de 0%.

La température monte sur le dancefloor

Les gérants s’encanaillent

Par coup de foudre ou par intérêt financier, de nombreux rapprochements ont eu lieu dans la gestion d’actifs l’an dernier.

  • Le spécialiste du private equity Eurazeo prend le contrôle du courtier Groupe Premium pour environ 100 millions d’euros. Depuis, ce dernier a pris des participations dans Ferri Gestion, le family office Leone Kapital et l’expert en produits structurés i-Kapital. Eurazeo ambitionne de porter les encours sous gestion de Groupe Premium à 10 milliards d’euros d’ici 2025 via de nouvelles acquisitions.

  • Amundi annonce le rachat de Lyxor auprès de Société Générale pour 825 millions d’euros. L’opération permet à Amundi de devenir le numéro 2 de la gestion passive (ETF) en Europe, derrière le géant américain BlackRock. En novembre, Amundi a aussi acquis BDF Gestion, succursale de la Banque de France gérant environ 300 millions d’euros.

  • Le groupe mutualiste Aema boucle l’acquisition d’Aviva France, dont la filiale de gestion d’actifs Aviva Investors France devient Abeille Asset Management.

  • Sienna Investment Managers entre en négociations exclusives pour acquérir Acofi Gestion, notamment auprès de La Française. C’est la troisième acquisition en trois mois de la société d’investissement belge, détenue par le Groupe Bruxelles Lambert, après celles de la gestion d’actifs de Malakoff Humanis et de L’Etoile Properties.

  • Oddo BHF entre en négociations exclusives pour racheter Quilvest Banque Privée (environ 2 milliards d’euros d’actifs sous gestion). Plus tôt dans l’année, Oddo BHF avait racheté Métropole Gestion et finalisé l’acquisition de la banque privée suisse Landolt & Cie.

  • La plateforme américaine d’échange de crypto-actifs CoinShares met la main sur le français Napoleon Asset Management pour 13,9 millions d’euros. L’opération est petite mais atypique : Napoleon AM a lancé en 2019 le premier fonds dédié au Bitcoin autorisé par l’AMF.

Un toast à la finance durable

L’invité dont la cote de popularité a le plus monté auprès des gérants et investisseurs est la finance durable. Au troisième trimestre 2021, les fonds « article 8 » (c’est-à-dire qui promeuvent des critères environnementaux et sociaux) et « article 9 » (qui ont des objectifs précis en matière de développement durable) ont capté près de 57% de la collecte des fonds européens répertoriés par Morningstar, contre 44% des flux au deuxième trimestre.

L’encours total de ces produits atteignait 3 320 milliards d’euros à fin septembre, soit environ 37% des actifs sous gestion en Europe. Contre à peine 15% en 2019. Selon une étude de PwC Luxembourg, près de 5 300 fonds étaient labélisés Article 8 ou Article 9 au premier semestre 2021, sur les près de 26 000 fonds domiciliés en Europe.

La prévalence des investissements ESG est appelée à augmenter fortement ces prochaines années. PwC Luxembourg les voit représenter entre 41% et 57% des encours des fonds domiciliés en Europe à horizon 2025.

A l’échelle planétaire, les actifs ESG pourraient atteindre 53 000 milliards de dollars d’ici trois ans, soit plus d’un tiers des 140 500 milliards d’actifs sous gestion escomptés en 2025 par une étude Bloomberg. Les actifs ESG ne représentaient que 30 600 milliards de dollars en 2018.

Les auteurs de greenwashing sont toutefois personae non gratae. Le secteur de la gestion d’actifs a été secoué fin août dernier par « l’affaire DWS ». Une ex-employée de la filiale d’asset management de Deutsche Bank avait accusé son ancien employeur d’avoir gonflé ses encours ESG. DWS conteste fermement mais cela n’a pas empêché la justice américaine d’ouvrir une enquête.

Invasion de trublions

La soirée entre professionnels de la finance battait son plein lorsque des trublions ont soudain débarqué : les investisseurs particuliers. En France, ils étaient près de 2,5 millions à avoir réalisé au moins une transaction boursière au troisième trimestre 2021, contre à peine 1,2 million deux ans auparavant. Séduits par les offres de trading à petit prix de banques en ligne et de plateformes comme Boursorama, IG, eToro ou encore deGiro, les épargnants se sont non seulement rués sur les actions, mais aussi sur des actifs d’un nouveau genre, accueillis avec scepticisme par une grande partie des experts de la gestion d’actifs.

Les cryptoactifs

Bitcoin, Ether, XRP, Solana… Les cryptoactifs ont connu plusieurs épisodes de fièvre spéculative avant 2021 mais leur nombre d’adeptes continue d’augmenter. Malgré sa forte volatilité, le cours du Bitcoin a quasiment doublé l’an dernier, ravissant ses défenseurs. Le marché des cryptos dans son ensemble a connu une progression fulgurante depuis début 2020 et sa capitalisation dépasse désormais les 2 000 milliards de dollars.

Parmi les près de 10 000 cryptoactifs référencés aujourd’hui, le Dogecoin a été mis en orbite par le fantasque Elon Musk.

Les NFT

Encore plus cryptiques que le Bitcoin ou le Dogecoin, les particuliers ont fait découvrir aux investisseurs professionnels les NFT. Acronyme de Non-Fongible Tokens, ces actifs sont des certificats d’objets numériques échangeables et uniques. Les jetons non-fongibles attestent de la propriété d’une image, d’une vidéo, d’un personnage de jeu en ligne… bref, de tout et n’importe quoi existant dans l’univers numérique !

Ce marché de geeks pèserait de quelques milliards à quelques dizaines de milliards selon les plateformes qui les répertorient. Vus comme des objets de collection et de spéculation, certains NFT se sont adjugés l’an dernier à des prix qui donnent le tournis : 69 millions de dollars pour Everydays – The First 5000 Days de l’artiste Beeple, adjugé lors d’une vente aux enchères chez Christie’s, et 91,8 millions de dollars pour Merge de Pak… dans un style plus épuré.

La révolte des épargnants

S’ils n’ont pas le même poids en Europe, les investisseurs particuliers ont les moyens de peser sur les marchés financiers aux États-Unis. « Environ 38% des encours du stock des actions sont entre les mains d’investisseurs individuels outre-Atlantique, confirme Jean-Jacques Friedman, directeur des investissements chez Natixis Wealth Management. A titre de comparaison, les hedge funds n’en détiennent que 3%. » Et une partie des épargnants n’a pas hésité à secouer la planète finance en début d’année avec « l’affaire Gamestop. »

Les SPAC

Les professionnels de la gestion d’actifs ont aussi été troublés par les SPAC (Special Purpose Acquisition Companies). Nés au siècle dernier aux Etats-Unis, ces « coquilles vides » cotées lèvent des fonds dans le but de fusionner avec une société non cotée pour l’introduire en Bourse. Près de 500 SPAC ont été lancés l’an dernier outre-Atlantique, soit deux fois plus qu’en 2020, selon les chiffres de Statista.

Mais le secteur a commencé à déchanter. Sceptiques sur l’utilisation de leurs « chèques en blanc », les investisseurs ont en moyenne retiré près de 60% de l’argent qu’ils avaient placé dans des SPAC américains avant que ces derniers ne bouclent une acquisition au quatrième trimestre, selon Dealogic. Début décembre, 94% des 288 millions de dollars levés par le SPAC 890 Fifth Avenue Partners ont été retirés avant sa fusion avec le média Buzzfeed.

Si les investisseurs se montrent plus sélectifs, les SPAC ne sont pas pour autant complètement délaissés. Le SPAC Odyssey s’apprête à fusionner avec la société pharmaceutique BenevolentAI sur la base d’une valorisation supérieure à 1 milliard d’euros, ce qui en ferait la plus grosse introduction en Bourse de ce type en Europe. En France, le groupe hôtelier Accor a lancé son propre véhicule d’acquisition en mai, alors que Tikehau Capital a créé deux SPAC l’an dernier, Pegasus Europe et Pegasus Entrepreneurs, suivis d’un troisième à Singapour. Avec le concours notamment du holding de Bernard Arnault Financière Agache et de Jean-Pierre Mustier.

L’ambiance retombe

Y’en aura pas pour tout le monde

Après l’euphorie économique, l’heure des comptes est arrivée. Et l’addition est salée. Les politiques de relance et la reprise de l’activité mondiale ont entrainé une ruée vers les matières premières et les composants industriels comme les semi-conducteurs. De quoi saturer les chaines logistiques, par ailleurs très perturbées par la pandémie et les restrictions de circulation. Le transport maritime affiche notamment des délais de livraisons records.

Couplée à la reprise de l’activité, les restrictions de production ont fait s’envoler les prix de l’énergie l’an dernier, dont celui du pétrole : le baril de brent est passé de 51 à 73 dollars, avec un pic proche de 87 dollars. De quoi alimenter une inflation inédite depuis plusieurs décennies aux quatre coins du globe. Aux États-Unis, les prix à la consommation ont crû de 7% (glissement annuel) en décembre, un record depuis 1982. En zone euro, l’inflation a atteint 5% en décembre, largement au-dessus de son niveau pré-pandémie.

Vous payez comment ?

Les responsables politiques ont pour leur part esquissé le début d’une nouvelle ère en matière de taxation des entreprises. Les représentants du G20 ont signé en octobre un accord visant à introduire d’ici fin 2023 un taux d’imposition minimum de 15% sur les bénéfices des sociétés multinationales, laissant augurer la fin des législations ultra-avantageuses comme l’Irlande, les îles Caïmans ou encore Jersey.

Certes, le chemin à parcourir avant la mise en place de ce Big Bang fiscal est encore long et il serait naïf de croire à la disparition totale des paradis fiscaux. Mais le message est fort et l’avancée est réelle.

Nouveau règlement (intérieur)

Pas d’année blanche en termes de réglementation ! Les régulateurs ont une nouvelle fois prié les professionnels de la gestion d’actifs d’améliorer leur communication auprès des investisseurs. L’an dernier, le focus a été mis sur l’ESG avec l’entrée en vigueur du niveau 1 du règlement européen SFDR (Sustainabily Finance Disclosure Regulation), le 10 mars.

Celui-ci impose notamment aux sociétés de gestion de distinguer leurs produits qui promeuvent des critères environnementaux et/ou sociaux, qualifiés d’« Article 8 », et ceux qui ont des objectifs précis en matière d’investissement durable, nommés « Article 9 ». Les fonds ne répondant pas à ces critères sont désormais considérés comme « Article 6 ».

En dehors du SFDR, les autorités ont surtout multiplié les consultations préparant de futurs changements. La Securities and Exchange Commission (SEC) américaine, l’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) et le Conseil de stabilité financière (FSB) ont par exemple planché avec les acteurs du secteur sur des solutions pour améliorer la résilience des fonds monétaires.

Après avoir relancé en 2020 le chantier titanesque de l’Union des marchés de capitaux (UMC), la Commission européenne a dévoilé ses grands axes fin novembre. Y Figurent notamment des révisions des directives et règlements AIFM, ELTIF et MIFIR, ainsi que la création d’une base centralisée de données financières et extra-financière nommée ESAP.

Touche pas à mon verre !

Les investisseurs qui comptent sur les OPA pour booster le cours de Bourse de leurs actions françaises vont devoir composer plus longtemps avec les restrictions de Bercy. Au printemps 2020, le gouvernement avait abaissé de 25% à 10% le seuil de détention de droits de vote à partir duquel un investisseur non européen doit obtenir l’accord du gouvernement pour continuer de monter au capital d’une entreprise cotée. L’objectif étant d’éviter que des fleurons fragilisés par la crise ne fassent l’objet d’OPA hostiles étrangères.

2022 : La fête est finie ?

On a dépensé tout ça ?

L’inflation continuera d’être au centre de l’attention des marchés financiers début 2022. Va-t-elle retomber vers des niveaux « acceptables » ou continuer de s’emballer ? Les banques centrales se sont attelées à répéter inlassablement au que la hausse des prix n’était qu’un phénomène « transitoire »… jusqu’à ce que Jerome Powell, président de la Fed, ne jette un pavé dans la marre début décembre en reconnaissant que ce terme n’était plus approprié.

Si certains économistes alertent sur le risque de stagflation (période de faible croissance et de forte inflation), la plupart gardent pour l’instant la tête froide. Anton Brender, chef économiste de Candriam compare la situation actuelle avec deux épisodes inflationnistes du siècle dernier aux États-Unis.

Reste que l’inflation devrait durer plus longtemps que prévu, avec un ralentissement désormais plutôt attendu au second semestre 2022… voire en 2023 ! La BCE prévoit une hausse des prix à la consommation de 3,2% dans la zone euro cette année, contre de 1,7% auparavant, et de 1,8% en 2023. Aux États-Unis, la Fed table sur une inflation de 2,6% cette année (contre 2,2% estimés en septembre), puis de 2,3% en 2023.

Certes, certains indicateurs, comme l’indice du coût du fret maritime et du minerai de fer ont commencé à baisser en fin d’année.

Mais les prix alimentaires continuent de monter, comme l’illustre l’indice mondial de la FAO, proche de son record historique de 2011. A l’époque, l’inflation sur les produits de base avait provoqué des « émeutes de la faim » en Afrique.

Aux États-Unis, les gérants d’actifs scruteront particulièrement la dynamique des prix immobiliers. « La hausse des loyers est en effet à l’origine d’un tiers de l’inflation américaine », indique Anton Brender.

De nombreux prévisionnistes pensent que le ralentissement de l’inflation sera favorisé par la normalisation de l’activité économique attendue cette année.

Bien que ces prédictions du FMI aient été établies avant l’apparition d’Omicron, les nouveaux variants ne devraient désormais affecter la croissance que de manière marginale. En cause, l’expérience des précédentes restrictions de mobilité (confinement, couvre-feu, fermeture des frontières…) et l’avancée de la vaccination.

Dans la zone euro, l’indice de mobilité de Google et le PIB avaient temporairement chuté d’environ 70% (par rapport au quatrième trimestre 2019) lors des premiers confinements début 2020. L’indice de Google a ensuite baissé de 50% lors de la vague suivante de restrictions de circulation, alors que le PIB a reculé concomitamment de moins de 15%.

Le ralentissement de l’inflation devrait aussi être favorisé par une accalmie sur le front des coûts énergétiques.

Le robinet monétaire se ferme

Après avoir baissé leurs taux directeurs et/ou inondé les marchés de liquidités depuis le début de la pandémie avec leurs programmes géants de rachat d’actifs, les banques centrales ont commencé à refermer le robinet au second semestre. Les institutions monétaires de République Tchèque, de Pologne, de Norvège ou encore du Brésil ont ouvert le bal. La communication de certains acteurs est toutefois devenue plus erratique. « La Banque du Canada a surpris en arrêtant ses rachats d’actifs du jour au lendemain en octobre, alors que la Banque d’Angleterre a début novembre repoussé le relèvement de son taux directeur après y avoir préparé les marchés durant des semaines », indique Stéphane Deo, directeur stratégie marchés chez Natixis Wealth Management. L’institution britannique a en outre à nouveau cueilli les gérants à froid en remontant finalement son taux le 16 décembre !

La Réserve fédérale américaine et la Banque centrale européenne ont pour leur part dévoilé leurs intentions mi-décembre. Décidé à freiner l’inflation et prenant acte de la bonne tenue du marché de l’emploi (4,2% de taux chômage en novembre), Jerome Powell va réduire les rachats d’actifs de la Fed de 30 milliards de dollars par mois dès janvier.

Cela mettra de fait un terme à ce programme fin mars, soit trois mois plus tôt qu’initialement envisagé. La Fed se dit aussi prête à relever trois fois ses taux directeurs cette année, trois fois en 2023 et deux fois en 2024. Actuellement situés entre 0% et 0,25%, les prévisionnistes les voient aux alentours de 0,9% en fin d’année, ce qui resterait historiquement bas.

La Banque centrale européenne a quant à elle confirmé le 16 décembre que son programme d’achats d’urgence pandémique (PEPP) de 1 850 milliards d’euros prendra fin le 31 mars. Il est probable que la totalité de l’enveloppe ne soit pas dépensée d’ici là, ce qui permettrait à la BCE de libérer une partie du solde ultérieurement si nécessaire. De toute manière, l’institution monétaire ne cessera pas d’injecter des liquidités sur les marchés : le programme de quantitative easing (QE) « classique » (l’Asset Purchase Program ou APP), mis en place en 2015, sera rehaussé de 20 milliards d’euros de rachats par mois à 40 milliards entre le premier et le deuxième trimestres, avant d’être progressivement réduit. La banque centrale continuera par ailleurs de refinancer les titres du PEPP arrivant à échéance jusqu’à fin 2024.

Promettant de rester « souple », Christine Lagarde a aussi rassuré les pays les moins bien notés, comme la Grèce, en laissant entendre qu’elle trouverait des solutions pour racheter leurs obligations non éligibles à l’APP en cas de tension sur leurs taux d’intérêts. Aucune hausse du principal taux directeur de la BCE, actuellement à 0%, n’est prévue avant 2023.

Les marchés avancent au radar

Du côté des actions

Les marchés actions devraient enregistrer de nouvelles turbulences en 2022. Pour autant, les prévisionnistes ne voient pas de krach global à l’horizon.

Du côté des obligations

Les marchés de la dette devraient être affectés par la remontée anticipée des taux d’intérêt, même si elle devrait être limitée. Les experts obligataires s’attendent même à ce que l’inflation continue de maintenir une partie des rendements réels en territoire négatif cette année.

Les investisseurs seront en revanche vigilants sur les niveaux d’endettement des entreprises, redoutant qu’une remontée des taux, même modeste, ne les mette en difficulté. « Le risque de LBO (leveraged buy-out) pourrait revenir cette année, alimenté notamment par les hauts niveaux de valorisation alimentés par le private equity », avertit Vincent Marioni. La Banque des règlements internationaux (BRI) a elle-même récemment souligné ce risque.

Son dernier rapport estime à près de 10 000 milliards de dollars les actifs du private equity, univers dans lequel les leviers d’endettement dépassent régulièrement 6 fois l’Ebitda. Et ces fonds disposent encore de 3 200 milliards de dollars de « poudre sèche » (dry powder) à investir ces prochaines années.

Nouvelles rencontres

Les marchés financiers découvriront de nouveaux visages parmi les dirigeants politiques et économiques cette année… ou pas !

En Europe, Olaf Scholz a remplacé le 8 décembre Angela Merkel à la chancellerie allemande et devra imprimer sa marque à la tête de la coalition inédite entre le SPD (parti social-démocrate), le FDP (libéraux) et les Verts. La mise en application de la politique budgétaire du nouveau gouvernement sera particulièrement scrutée. Du côté des institutions financières, les marchés ont hâte de se familiariser avec Joachim Nagel, le successeur de Jens Weidmann à la tête de la Bundesbank.

L’élection présidentielle française fera aussi l’objet d’une attention particulière, alors qu’elle surviendra en plein pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne. Qui succèdera à Emmanuel Macron à l’issue du second tour du 24 avril ? Christiane Taubira ? Valérie Pécresse ? Yannick Jadot ? Anne Hidalgo ? Marine Le Pen ? Jean-Luc Mélenchon ? Eric Zemmour ?

La succession du Président de l’Italie, Sergio Mattarella, prévue fin janvier, est moins porteuse d’enjeux compte tenu des prérogatives relativement limitées de ce poste. Sauf si Mario Draghi venait à le remplacer : l’ex-gouverneur de la BCE devrait alors démissionner de la présidence du Conseil, alors que sa nomination il y a un an à la tête du gouvernement avait été saluée par les milieux financiers.

De l’autre côté de l’Atlantique, Jerome Powell a rempilé pour un second mandat de Président de la Réserve fédérale. Lael Brainard l’a rejoint en tant que vice-présidente. L’année sera toutefois surtout marquée par les élections de mi-mandat (midterms) prévues le 8 novembre. De leur issue dépendra la capacité de Joe Biden à poursuivre sa politique d’investissement massive.

Dans le reste du monde, Jair Bolsonaro remettra son mandat de Président en jeu le 2 octobre. Aucun suspens en revanche en Chine : après dix ans au pouvoir, Xi Jinping aurait dû rendre son tablier au XXe congrès du Parti communiste prévu en octobre prochain. Mais la modification apportée à la Constitution en 2018 lui permet de briguer un nouveau mandat de Secrétaire général du Parti, de Président de la République et de Président de la Commission militaire centrale. Le résultat semble couru d’avance.

Embrouilles en vue ?

Les relations entre les États-Unis et la Chine pourraient à nouveau se dégrader. D’une part, Pékin semble déterminé à resserrer l’étau sur Taïwan, île soutenue militairement par Washington. Une nouvelle escalade de tensions ne laisserait pas les marchés indifférents.

D’autre part, la liste des sociétés chinoises éjectées de Wall Street pourrait s’allonger. Après Didi, Alibaba, Baidu ou encore Pinduoduo pourrait être contraints de quitter la Bourse de New York.

Soit parce que Pékin les y aura forcées, notamment dans l’optique de rapatrier ses géants d’Internet sur les Bourses chinoises. Soit parce qu’elles ne répondront pas aux nouvelles exigences de transparence comptables adoptées fin 2020 au Congrès. Les sociétés étrangères ont jusqu’à fin 2022 pour s’y conformer.

Les dirigeants de l’Union européenne s’attaqueront quant à eux à l’épineux dossier de la renégociation des règles budgétaires. Suspendues en 2020, elles pourraient faire leur retour dès 2023. Il est probable que l’objectif de limiter la dette souveraine de chaque pays à 60% du PIB sera révisé. Ce ratio avoisine 100% pour l’ensemble de la zone euro et de nombreux États l’avaient largement dépassé avant la pandémie, dont la France, l’Italie et l’Espagne.

Les négociations s’annoncent plus tendues au sujet de la règle limitant les déficits publics annuels à 3% du PIB. Les États dits « frugaux » (Allemagne, Pays-Bas, Autriche…) devraient militer pour la réinstauration d’une discipline budgétaire stricte, alors que Paris plaide notamment pour exclure les « investissements d’avenir » (technologies vertes, capital humain…) des calculs du déficit.

« Le rééquilibrage des comptes publics prendra du temps : trois des quatre plus grandes économies de la zone euro afficheront encore un déficit supérieur à 4% en 2024 », souligne Florence Pisani, directrice de la recherche économique chez Candriam.

La Commission européenne dévoilera des propositions. Si la parenthèse du « quoiqu’il en coûte » semble appelée à se refermer, Ursula von der Leyen est déterminée à ne pas répéter les erreurs du passé, c’est-à-dire casser la croissance économique par excès d’austérité budgétaire.

Une bonne rasade de règles à venir

De nouveaux chantiers réglementaires majeurs pour la gestion d’actifs avanceront cette année, principalement dans trois domaines : la finance durable, l’union des marchés de capitaux et la stabilité financière.

Finance durable

SFDR, acte 2

Les professionnels de la gestion d’actifs attendent avec impatience les actes délégués de la Commission européenne qui définiront plus précisément les règles techniques (RTS) du niveau 2 du SFDR. Ils sont attendus au premier trimestre. Les RTS imposeront notamment la publication des principaux impacts négatifs en matière de durabilité (principal adverse impacts ou PAI) des fonds Article 8 et Article 9. L’entrée en vigueur du niveau 2 du SFDR a été repoussée au 1er janvier 2023.

Taxonomie

Depuis le 1er janvier 2022, les acteurs de la gestion d’actifs doivent publier l’alignement de leurs fonds Article 8 et Article 9 avec les deux premiers objectifs sur six de la Taxonomie, à savoir « l’adaptation » et « l’atténuation » du changement climatique. La Taxonomie vise à établir un référentiel définissant les activités qui contribuent à l’atteinte d’objectifs de développement durable, avec des spécificités par secteurs. Les critères ont été entérinés en fin d’année dernière pour dans les domaines de l’énergie, de l’industrie et des transports.

CSRD

La directive CSRD (Corporate Sustainabily Reporting Directive) devrait aider les gérants d’actifs à y voir plus clair. « Elle prévoit en effet de renforcer les obligations de reporting financier et ESG des entreprises et figure parmi les chantiers prioritaires d’Emmanuel Macron dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE », précise Laurence Caron-Habib. Mais ce ne sera pas pour tout de suite : la mise en application du texte n’est pas attendue avant 2024…

MIFID 2

Last but not least, une révision de MIFID 2 va imposer dès cet été aux distributeurs de produits financiers d’interroger leurs clients particuliers sur leurs préférences en matière d’investissement durable. Concrètement, les conseillers leur demanderont s’ils souhaitent orienter leur épargne vers des produits ESG, dans quelle proportion, etc.

Union des marchés de capitaux

Directive AIFM

Le législateur prévoit de réviser la directive sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (AIFM). Il s’agira notamment d’harmoniser les outils à disposition de ces véhicules en termes de gestion de la liquidité, de revoir les règles de transparence et d’encadrement des risques des loan origination funds ou encore de passer en revue les standards de reporting.

ELTIF

Le manque de succès des fonds ELTIF – à peine 2,4 milliards d’euros d’encours en avril dernier, selon l’ESMA – a conduit les régulateurs à préparer un nouveau cadre pour ces produits. « Il s’agira par exemple d’adapter les contraintes d’investissements des gérants ou encore les politiques de rachat de parts », précise Laurence Caron-Habib.

ESAP

La Commission européenne veut créer une plateforme centrale regroupant les informations financières et extra-financières des émetteurs (ESAP), aujourd’hui disséminées chez de nombreux fournisseurs de données. Un chantier qui mettra des années à se concrétiser.

MIFIR

Les autorités européennes vont aussi avancer sur la révision du règlement sur les marchés d’instruments financiers (MIFIR). « Le point central est le projet de Consolidated Tape, c’est-à-dire la création d’une plateforme unique où des données sur des transactions de marchés devront être mises à disposition en temps réel », souligne Laurence Caron-Habib.

Stabilité financière

Enfin, la Banque des règlements internationaux (BRI) compte travailler cette année sur des pistes pour proposer une approche systémique et macroprudentielle des institutions financières non bancaires. Dans l’idée d’aboutir à un équivalent des règles de Bâle pour l’industrie de la gestion d’actifs. Ce chantier colossal sera mené avec des institutions comme le G7, les banques centrales ou encore le Conseil de stabilité financière. Avec pour objectif de proposer aux régulateurs des réformes dans le courant de l’année 2022.

Le principal chantier européen sur le volet de la stabilité financière concerne le règlement sur les fonds monétaires (MMFR). Après les consultations menées l’an dernier, l’ESMA publiera un rapport d’ici fin février qui servira de base à la révision du règlement. « L’idée est d’accroitre la résilience des fonds monétaires en période de crise », précise Laurence Caron-Habib.